On ne voit la cabane qu'une fois finie... (3/4)

Par Françoise Berre

Publié le 10 janvier 2024

Avant-dernier épisode de notre entretien avec Etienne pour approfondir la méthode de travail et découvrir la génèse du spectacle...

L'immersion dans l'organisation SVVC !

F.B. Tu fais désormais partie de la commission artistique de SVVC. Peux-tu nous dire si tu as déjà travaillé ainsi et ce que cela t'apporte ?

E.M :  Pour moi, il y a beaucoup de choses particulières et nouvelles, liées à ce projet.

Pour commencer, je n’ai jamais écrit ni mis en scène un spectacle d’une telle ampleur. C’est justement ce qui en représente le challenge. La plupart du temps, notamment dans le cadre des ateliers théâtres, il y a très peu de moyens pour produire un spectacle. Je suis donc devenu expert en théâtre fauché, habitué à me débrouiller avec ce que j’ai sous la main. Donc écrire et mettre en scène pour SVVC, c’est un peu comme si on me filait les clés d’une Rolls. Évidemment que j’ai envie de conduire la belle voiture. A ceci près que ça ne se conduit pas comme une 2 CV. Il faut donc que je m’adapte à ce nouvel environnement.

Travailler avec la commission artistique m’a permis de gagner du temps. Notamment parce qu’au niveau de l’organisation, SVVC a déjà ses habitudes. Il suffit de se glisser dedans. Ensuite, la réflexion va plus vite dès lors qu’on se pose les bonnes questions. Il y a donc moins de risques de se tromper s’il y a plusieurs personnes pour les poser et proposer des réponses. C’est la force du groupe.

Pour écrire un spectacle, je m’appuie sur une procédure mise au point au fil de mes années d’expérience. La seule difficulté aura donc été d’accorder cette procédure personnelle avec le fonctionnement de SVVC. Mais entre gens compréhensifs, on finit toujours par se mettre d’accord… Pourvu que ça dure, car la route n’est pas finie.

Par ailleurs, il n’y a pas que la commission artistique. Toutes les commissions sont importantes, y compris le bureau et le Comité d'Administration. Je ressens un réel soutien de la part de tous. Et heureusement ! Car la charge liée à un projet de cette ampleur serait franchement balèze à porter tout seul.

Etienne Maquaire - septembre 2023

F.B. Comment s'est déroulée la phase de conception ?

E.M. : Avec la commission artistique, on a commencé par se mettre d’accord sur le spectacle à produire. Il devait nécessairement respecter ce qui fait l’identité de SVVC. Outre l’envergure de ses productions, on peut citer la nécessité d’un travail par groupes, l’envie que le public se sente concerné ou encore que le lieu de représentation soit intégré au spectacle. Le consensus est apparu de créer un spectacle sous chapiteau, d’évoquer le voyage dans le temps et de traiter du thème de la différence, aussi bien dans l’enrichissement humain qu’elle apporte que dans la stigmatisation et l’intolérance qu’elle génère. C’est de là qu’est né l’idée de raconter l’histoire d’une famille de Tziganes circassiens, venus à Berlin présenter leur nouveau spectacle pour les jeux olympiques de 1936. Déjà, le propre d’un cirque, c’est de montrer des numéros. Par ce procédé, il devenait envisageable d’imaginer plusieurs tableaux qui remontent le temps afin de séquencer le spectacle pour rendre possible un travail par groupes. Ensuite le cirque est un art éminemment Tzigane, un peuple aujourd’hui encore fortement stigmatisé. Ancrer leur histoire à quinze jours de l’inauguration des jeux olympiques de 1936 permet un parallèle évident avec ceux de 2024 qui se tiendront réellement quelques semaines après nos représentations. Or le climat de Berlin à cette époque n’était pas anodin, ce qui semble particulièrement pertinent pour mettre en évidence les valeurs d’humanité que l’on cherche à défendre auprès du public. Ainsi, quand bien même le spectacle se situe dans le passé, il traite effectivement de problèmes actuels qui concernent directement le public d’aujourd’hui. Qui plus est, en s’appuyant sur un fait historique réel, on évite de tomber dans une polémique politique qui n’a, selon moi, pas vraiment sa place sur une scène. Que l’art nous interroge, c’est une de ses fonctions. Ça s’appelle la culture. Mais répondre à ces questionnements, c’est le boulot des politiciens, pas celui des artistes. A défaut on tombe vite dans le prosélytisme et la propagande. Même si on défend des idées qui nous sont chères. Cela me semble maladroit et fort peu artistique.

Quoi qu’il en soit, de cette idée de départ sont apparues des contraintes. La première étant de réussir à créer un spectacle avec des comédiens et des danseurs qui ne sont ni des artistes de cirque, ni des Tziganes. Il fallait donc trouver un subterfuge à travers l’intrigue générale pour rester dans l’univers du cirque sans jamais en montrer aucun numéro digne de ce nom. Il fallait également envisager un style d’écriture qui permette de rendre crédible un « parlé » manouche qui reste parfaitement compréhensible par le public tout en restant jouable par les acteurs.

Pour y parvenir, je me suis documenté du mieux que j’ai pu et je me suis livré à des travaux préparatoires, aussi bien pour imaginer les personnages que pour scénariser les différentes parties du spectacle et mettre au point le style d’écriture recherché. C’est un temps de maturation préalable indispensable car je n’aborde l’écriture finale qu’à partir du moment où toutes les grandes lignes du spectacle et toutes les contraintes techniques et logistiques ont été levées. A défaut, c’est prendre le risque d’écrire quelque chose qui ne corresponde pas au projet et/ou qui ne soit pas réalisable. Cette période a été assez intense dans la mesure où nous avons eu à peine 6 mois pour aboutir ce travail de conception avec les différentes équipes concernées.

2 mois d'écriture

F.B. Comment t'es-tu organisé pour écrire le spectacle ?

E.M. : Quand le travail de conception est, comme là, correctement réalisé, l’écriture finale est relativement rapide. Les dialogues viennent presque sans efforts. La seule vraie difficulté c’est de se limiter à l’indispensable. Il faut viser l’efficacité et éviter de se perdre dans des échanges inutiles. Ça demande autant de vigilance que d’humilité car il s’agit de prendre de la distance avec son propre travail, ce qui n’est pas forcément chose aisée quand on a la tête dans le guidon. J’ai donc besoin de beaucoup de relectures pour pouvoir enlever le maximum de scories. Mais j’imagine qu’il en va de même pour tous les auteurs.

J’ai mis grosso-modo 2 mois à écrire le texte final. Après, il reste encore possible qu’il faille en remanier certaines parties. Un texte, ce n’est qu’un plan. Et même s’il me plaît tel quel, la réalité du terrain, c’est autre chose. Cela nécessite généralement de s’adapter.

F.B. Comment vois-tu maintenant la mise en oeuvre de tout cela ?

E.M.Il est encore un peu tôt pour en parler. Au moment où j’écris ces lignes, la 1ère lecture du texte n’a pas encore eu lieu et la distribution des rôles n’est toujours pas complète. Tout ce que je sais, c’est qu’on passera forcément par des phases de doutes, de stress, d’énervement… C’est normal. Ça fait partie du jeu, même si ça n’est pas très fun. C’est bien pour ça qu’à côté, il faut qu’il y ait aussi du rire, de la joie et du plaisir à travailler ensemble sur un projet auquel on croit collectivement.

Photo illustration : Michal Czyz sur Unsplash
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